
« Les Sphères Ennemies » – La comédie cérébrale qui fait battre le cœur

Petit Molière Meilleure Comédie 2019 – 6ème saison
NATHAN, hémisphère droit, idéaliste, protecteur, et romantique, aime cueillir des coquelicots. JO, hémisphère gauche, primaire, impulsif et cynique, aime chasser la gazelle. À première vue, ils n’ont rien en commun… sauf qu’ils sont copilotes dans un cerveau humain, celui de Jo-Nathan. Et quand Jonathan rencontre la femme de sa vie, le duo de chasseur-cueilleur va devoir trouver un terrain d’entente pour la conquérir, pour le meilleur et pour le pire. Du coup de foudre aux vieux jours, de la première nuit d’amour à la demande en mariage, du premier rendez-vous aux premières disputes, assistez à l’ultime confrontation entre le petit ange et le petit diable qu’on a tous et toutes dans la tête, depuis le poste de contrôle d’un cerveau humain.
L'opinion de la Luciole

Avec Les Sphères Ennemies, Jean-Baptiste Thomas-Sertillanges et Olivier Teillac nous embarquent dans une comédie aussi fine que déjantée, qui explore un terrain aussi vaste qu’inexploité : le cerveau masculin en pleine tempête émotionnelle. Et autant dire que là-dedans, c’est le bazar !
Le concept est aussi simple que génial : à l’intérieur de Jo-Nathan, un homme banal qui tombe amoureux, cohabitent deux cerveaux, ou plutôt deux pôles de pensée bien distincts. D’un côté, Nathan, hémisphère droit, poète, romantique, sensible, à l’écoute. De l’autre, Jo, hémisphère gauche, rationnel, impulsif, cynique, obsédé par l’efficacité (et les gazelles). Le cœur et la tête, le désir et l’attachement, le chasseur et le cueilleur. Tous deux doivent cohabiter, négocier, s’affronter pour tenter de piloter l’histoire d’amour à venir. Et spoiler : ce n’est pas de tout repos.
En s’installant dans les méandres du cerveau masculin, les auteurs prennent le parti d’en exagérer les clichés… pour mieux les déconstruire. On rit d’un homme qui ne sait pas comment gérer ses sentiments, ses pulsions, sa vulnérabilité. On rit de ce grand écart entre ce qu’il ressent, ce qu’il voudrait dire, et ce qu’il finit par faire. Et on se reconnaît tous, hommes ou femmes, dans ce chaos intérieur attachant.
La mise en scène, fluide et inventive, donne vie à ce poste de commande cérébral, où les deux comédiens évoluent avec une précision comique millimétrée. Leurs échanges, tantôt absurdes, tantôt brillamment lucides, sont portés par une écriture rythmée et une excellente direction d’acteurs. Le public est emporté dans cette bataille intérieure hilarante, qui court de la rencontre amoureuse aux vieux jours, en passant par les grands classiques : premières disputes, jalousies, maladresses et déclarations ratées.
Mais derrière la légèreté apparente, Les Sphères Ennemies questionne l’évolution du masculin, les contradictions qui habitent les hommes d’aujourd’hui, tiraillés entre héritages virils et élans sensibles. Un spectacle qui montre que le cerveau d’un homme amoureux, même s’il peut ressembler à une zone de guerre, est aussi un lieu de beauté.
En résumé : Les Sphères Ennemies est une comédie originale, intelligente et diablement efficace, qui dresse avec humour le portrait d’un homme en lutte avec lui-même. Ou comment faire du cerveau masculin un terrain de jeu théâtral aussi drôle que profondément humain. Un vrai bijou d’inventivité.
L'interview !
Vos deux personnages incarnent les deux hémisphères d’un même cerveau : comment avez-vous construit vos rôles pour rendre crédible cette dualité intérieure tout en restant complémentaires sur scène ?
Tout s’est fait de manière très naturelle. D’abord, la pièce est très autobiographique sur le concept, la trame narrative et l’intrigue amoureuse, de sorte que, comme dirait (plus ou moins) Cyrano : « Cette pièce que j’ai vécue et re-vécue en moi-même cent fois, de sorte qu’elle est prête, et que mettant mon âme à côté du papier, je n’ai tout simplement qu’à la recopier ». Ensuite, la réalité est que ces deux archétypes s’écrivent tout seul… Chacun représente une vision du monde opposée et complémentaire, l’un cynique et l’autre idéaliste, l’un individualiste et l’autre altruiste, l’un timide et l’autre expansif… Il y a des échos évident au clown blanc et à l’Auguste : il a suffit de les laisser parler.Ensuite, le côté « bromance » n’est qu’un reflet de cette grande amitié et complicité qui nous lie Olivier et moi, encore renforcée par la présence d’Alexis Berecz, notre metteur en scène, qui est comme un frère pour nous. Il y a eu un alignement de planètes sur l’écriture de cette pièce et la mise en scène de cette pièce entre nos vies, nos amours, notre amitié, avec des fondamentaux de la condition humaine en filigrane et nos soirées à refaire le monde, qui font que tout a été finalement assez évident.
L’amour est au cœur de la pièce, vu à travers deux prismes opposés : romantisme et instinct. Que dit selon vous le spectacle sur les rapports amoureux d’aujourd’hui ?
Avec l’archétype de Jo (qu’on pourrait rapprocher de l’Ombre de Carl Jung), la pièce remet un peu sur le devant de la scène une partie de la psychologie humaine sur laquelle on a jeté un voile pudique : notre part d’animalité, le désir passionnel, la force vitale – cet élan qui pousse un homme par exemple à braver sa timidité et risquer le ridicule pour aborder simplement une femme qui lui plait dans la vie réelle. Je crois qu’avec le mouvement #metoo (par ailleurs, absolument salvateur), cet esprit d’initiative, cette fougue transgressive, cette flamme, a été un peu jetée avec l’eau du bain et manque beaucoup aux hommes et aux femmes, comme si on avait privé le Yin de son Yang. Les applications de rencontres traduisent cela : on est passé de la transgression au transactionnel tiède et je ne crois pas que l’Amour en sorte gagnant. La pièce remet à sa juste place le charnel, les corps, le sexe, le désir, la passion dans l’amour, avec toujours (mais ça devrait être une évidence…) le respect de son partenaire. C’est là que Nathan intervient, dans son rôle « civilisateur ». L’arc narratif de Jonathan, c’est celui d’un être humain qui devient un gentleman et donc un Homme prêt pour offrir et recevoir l’amour véritable.
Est-ce que vous vous sentez personnellement plus proches de Nathan ou de Jo ? Est-ce que jouer l’un des deux a influencé votre propre regard sur vos émotions ou décisions dans la vie réelle ?
Plus proche, ça deviendrait indécent ! Jo et Nathan sont de pures extensions de nous-mêmes en termes disons d’enveloppe de caractère. Le côté dandy raffiné et élégant de Nathan est quasiment une caricature d’Olivier et le côté Jo foutraque et j’men foutiste de Jo, c’est moi-même en pire… En revanche, à titre individuel, il y a évidemment énormément de Jo et de Nathan en chacun de nous. C’est d’ailleurs devenu une grille de lecture assez utile pour notre vie personnelle. Un moment de désillusion, de cynisme, de noirceur et d’individualisme ? Attention, Jo est dans les parages… Un moment où il faut se lancer et faire preuve de courage, par exemple pour aller solliciter les spectateurs dans les rues d’Avignon : « Jo, je vais avoir besoin de toi ! ». Un moment où il faut faire preuve d’intégrité et de loyauté : « Nathan, donne-moi la force de faire ce qu’il faut faire ! ». Ces deux personnages remplissent parfaitement leur rôle de petit ange et de petit diable sur nos épaules…
Quelle a été la réaction du public qui vous a le plus touchée ou surprise depuis que vous jouez cette pièce ?
La réaction qui nous touche le plus est quand les femmes perçoivent que cette pièce est une gigantesque et sincère déclaration d’amour pour elles, et presque un traité d’éducation sentimentale dans laquelle un homme tente de se montrer à la hauteur, d’évoluer et de se montrer digne d’elles. Une réaction que nous adorons aussi est quand les femmes nous disent que cela se passe aussi un peu comme ça dans leur tête. Pour nous, cette pièce touche à quelque chose de fondamental et peut-être intemporel sur la psychologie humaine et les rapports amoureux, indépendamment d’ailleurs des genres et orientations sexuelles. Si les spectateurs ressortent de la pièce en ayant eu l’impression de voyager dans leur propre cerveau et d’assister à la confrontation ultime des petites voix qu’ils ou elles ont dans leurs propre têtes, alors le pari est réussi. A Avignon, nous avons souvent des familles avec trois générations qui viennent nous saluer et nous dire qu’ils se sont tous régalés, comme si la pièce s’adressait aux cerveaux de 17 à 77 ans. Et j’ai l’impression que dans 95% des cas, on a visé juste et c’est une immense satisfaction artistique.



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